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Les Spermatozoïdes (les Trois Cents Millions)

Frères Jacques [Les]

Nous sommes trois cents millions, massés derrière la porte
Trop serrés pour remuer, trop tendus pour penser
Une seule idée en tête, la porte, la porte, la porte
Quand elle s'ouvrira, ce sera la ruée
La vraie course à la mort, la tuerie sans passion
Un seul gagnera, tous les autres mourront
Même pas numérotés, seul un instinct nous guide
On nous a baptisés : les spermatozoïdes.

Le prix de la victoire, c'est une fille de joie
Nous sommes trois cents millions et un seul l'aura
Elle se fout du vainqueur, elle ne choisit même pas
Elle se donne à tout l' monde, mais un seul à la fois
Elle attend bien tranquille dans son palais douillet
Le confort y est total, les serviteurs discrets
Pas de nuit, pas de jour, pas de bruit, que l'amour
L'amour, l'amour, l'amour, l'amour, l'amour, l'amour.

Nous bougeons lentement, faut pas s'ankyloser
Quand on est d'vant la porte, on voudrait s'arrêter
Si elle s'ouvrait maint'nant, je serais bien placé
Mais non, les autres poussent, ça y est j'l'ai dépassée
Et la ronde continue, la ronde des prisonniers
Mais ce que l'on attend, c'n'est pas la liberté
On n'se parle même pas, on garde les yeux baissés
On ne regarde pas ceux qu'il faudra tuer.

Soudain on s'arrête tous
Plus personne ne pousse
C'est l'instant qu'on attend
Très subtil le changement
On n'voit rien mais on l'sent
Dehors, ça bouge lentement
On espère, on redoute
On n'bouge plus, on écoute

Ca y est c'est parti, la porte est ouverte, c'est la ruée au dehors
Ne pas s'affoler, ne pas s'affoler sinon c'est la mort
Pas partir trop vite, la distance est longue, faut pas s'essouffler
Déjà les premiers ont été massacrés, bousculés, piétinés
Ce qui s'passe devant c'est pas important du moins pour l'intant,
La mort vient dans l'dos, le croche-pied vicelard et le piétinement
Le fouet bien en main j'en vois un qui s'approche, j'l'attends
Il est à ma portée je m'retourne, vlan ! d'un coup d'fouet je l'descends.

Faut être attentif, tous les nerfs tendus, prévoir le danger
Tout c'qui s'passe autour, faut en être conscient, sentir et frapper.
Quand l'un tourne le dos, s'il est à portée on lui règle son sort
C'est la règle du jeu, la moindre pitié entraîne la mort.
Sacré nom de Dieu, un coup d'fouet a sifflé juste derrière mes oreilles
Mais j'dois être cinglé pour philosopher à un moment pareil
Le fouet tournoyant, je cavale à mort pour me dégager,
L'danger écarté, je reprends mon train, faut pas s'enerver.

Déjà la moitié, les trois-quarts sont morts, ça s'est clairsemé
On court plus lentement, on piétine des corps, on est fatigués
Courir, courir, courir, courir, courir, courir,
Tenir, tenir, tenir, tenir, tenir, tenir,
Ceux qu'ont la rage de vivre, il n'y a qu'ceux-là qui tiennent
Maint'nant on n'se bat plus, oh ce n'est plus la peine,
Les mecs tombent un à un, morts avant d'toucher l'sol,
Exténués, épuisés, vidés, rincés, ras l'bol.
C'est bon d'se laisser choir, dormir comme les noyés
Mais ceux qui s'laissent tomber, c'est pour l'éternité.

Soudain je l'aperçois, il est devant mes yeux,
Il est là devant moi, ce palais merveilleux :
J'arrive ma toute belle, encore un p'tit effort !
Et je plonge dans la vie en sortant de la mort
Mais non, je n'suis pas seul, deux mecs m'ont précédé
Tellement épuisés qu'ils ne trouvent pas l'entrée.
Je leur tombe dessus, les écrase, les bouscule,
Je leur piétine la gueule et j'entre dans l'ovule.

Que c'est beau, que c'est beau,
J'entre dans un Paradis,
Elle est là cette garce de vie
Pendant neuf mois entre elle et moi,
Ce s'ra l'Eden, le Nirvana.
J'suis l'vainqueur des trois cents millions
Je sors du Néant, j'ai un nom
C'est merveilleux l'existence !

Ca commence par des vacances !

Que c'est beau, que c'est beau,
Je vais en jouir à plein d'ces neuf mois sans problème
Tranquille, baignant dans l'huile, sans amour et sans haine
Sans froidure, ni chaleur, surtout sans société
Parce que les autres, les vaches, ils m'attendent à l'entrée
Tous les autres vaiqueurs, ceux qui sont d'jà dehors,
Ils m'attendent pour se battre, pour voir qui s'ra l'plus fort.
Ouais, quand je sortirai, il n'y aura plus d'vacances,
Pendant soixante-dix ans, la bagarre recommence !

C'est la vie ... c'est la vie ... c'est la vie ... {ad lib}







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